PROCES DU CRASH DU MONT SAINTE ODILE –2ème SEMAINE : L'ERGONOMIE DU COCKPIT A LA LOUPE

Source

Au sixième jour du procès, mercredi 10 mai, le tribunal s’est penché sur l’ergonomie du poste de pilotage, l’un des points sur lequel porte l’hypothèse d’une confusion de l’équipage. Les rangs se sont bien éclaircis tant du côté des parties civiles que du côté des avocats.

Grâce à une animation réalisée par Dominique Mineo, l’assistance a pu se concentrer sur les appareils équipant un poste de pilotage d’A 320 « comme si on y était » sur grand écran.

Une partie du tableau de bord dans le cockpit de l'A320

Cette présentation destinée à éclairer le tribunal mais aussi les parties civiles se voulait pédagogique – comme d’ailleurs tous les exposés techniques- mais elle a permis à Me. Temime, avocat et Hubert De Gaullier expert de l’association ECHO de faire remarquer le peu de visibilité de l’affichage lorsque l’équipage change de mode de descente à savoir vitesse verticale ou angle de descente. Ce qu’a réfuté bien entendu la défense, les avocats d’Airbus qui défendent Bernard Ziegler ayant promis de présenter le lendemain un FCU (Flight Control Unit) pour lever toute ambiguité. L’expert suisse, Pierre Wannaz, pilote chez SWISS étant dans le rôle d’arbitre.

Il a été à nouveau question des deux pilotes au cours de l’audience. Christian Hecquet, commandant de bord, qualifié de professionnel appliqué, calme et prudent avait débuté son parcours en Afrique et, selon Jean Goyschman, ancien officier navigant chez Air-Inter et ami du pilote, celui-ci « connaissait parfaitement la topographie des lieux ». Et Jean Goyschman exclut de la part de Christian Hecquet une quelconque prise de risque. Il est sûr que Christian Hecquet n’a jamais voulu descendre à 3.300 pieds/minute soit quatre fois la vitesse normale. Et Guy Watine confirme : Christian Hecquet « se rendait de suite compte des petits problèmes ».

Joel Chérubin, co-pilote, ancien instituteur est qualifié de « bon professionnel, bien intégré, à l’aise et à la personnalité bien affirmée ». Mais d’un autre côté, il est souligné qu’il « intervient trop dans le déroulement des vols et qu’il materne trop le commandant de bord ».
Guy Watine dans sa déposition ne fait pas mystère : « un mécanicien navigant à bord arrivait à empêcher un certain nombre de problèmes… ». Certes, mais les A320 se pilotaient à deux. D’où au sein de la compagnie Air-Inter un « climat social tendu » comme l’a souligné le président Pierre Wagner. Ce que Alain Le Carrour avait déjà stigmatisé avec force lors de l’audience du mardi 9 mai.
    *************

Jeudi 11 mai, Pierre Wannaz, environ 7.000 h de vol sur A 320 et A 330, expert, avait la tâche de commenter les transcriptions des enregistreurs de vol sauvegardés, à savoir le cockpit voice recorder (CVR) et le QAR ( Quick access recorder) sur les 30 dernières minutes au cours de la phase de descente, notamment la préparation et l’approche. AIRBUS a tenu ses promesses et un FCU avait été installé, à la grande satisfaction du président, toujours aussi pédagogue et soucieux d’une bonne compréhension des problèmes par tous les participants.

Pierre Wannaz souligne d’entrée que la programmation initiale d’arriver sur Strasbourg en ILS23 a été changée trois fois par la suite. De la trentaine de griefs émis par les premiers experts, Me.Beneix avocat de Mme. Cherubin n’en retient aucun qui aurait pu mener à l’accident.

Pierre Wannaz (Photos Cerdacc)

Au fil du déroulement de ces trancriptions, les interventions des uns et des autres précisent tel ou tel point, en critiquent d’autres. Par exemple lorsque Eric Lammari prévenu indique que le contrôleur n’était pas devant son radar de la tour d’Entzheim lorsqu’il a été pris en charge parce qu’il travaillait aux procédures. » Le radar est en plus. Cela se pratiquait habituellement, le trafic ne nécessitait pas de prendre systématiquement le radar ».
Jacques Rantet directeur de l’exploitation d’Air Inter s’étrangle : « je découvre une triste réalité ». Hubert de Gaullier confirme : « Je suis d’accord avec M. Rantet. « Dès qu’il y avait des vols, les contrôleurs étaient derrière leur radar ».

Ce qui ressort de toute l’après-midi, c’est que arrivé au point ANDLO, l’avion n’était plus du tout dans une configuration pour atterrir en VOR DME sur la 05 parce qu’il était à 7500 pieds. Ce que confirme Pierre Wannaz : « dans la logique d’un atterrissage en 023 la hauteur de 7.500 pieds avait du sens. En 05, non ». Et Bernard Ziegler de demander, bien que connaissant la réponse: « est-il normal qu’un équipage n’annonce pas ses intentions avant ? ». Réponse de Pierre Wannaz : « non. Attendre ANDLO pour le faire c’est vraiment très tard. Mais quoi qu’il arrive, les avions à l’atterrissage ont priorité sur ceux au décollage ».
Sont aussi évoqués les désaccords entre les deux pilotes concernant justement le choix de l’approche. Jacques Rantet à qui il est reproché le choix de l’équipage s’insurge : » mon équipage n’a rien fait d’anormal », soulignant l’intervention de son avocat qui disait que les deux pilotes étaient en symbiose.

Le contrôleur de la tour ( qui n’était pas encore Eric Lammari prévenu) avec trois décollages sur les bras, en avait informé l’équipage en lui indiquant un risque d’attente et l’invitant à refaire un passage sur le point ANDLO, soit une attente d’environ 7 à 9 minutes. Qui se sont avérées fatidiques…

************

Au huitième jour de ce procès, vendredi 12 mai, Bernard Ziegler avait fait citer Pierre Baud
ex vice-président de la Division essais en vol et vice-président du « Training center Airbus ».
Il sera suivi dans l’après-midi par Jacques Clostermann et Henri Marnet-Cornus, tous deux pilotes et cités par l’association ECHO.

Comme Bernard Ziegler son prédécesseur à la tête des essais en vol d’Airbus, Pierre Baud s’est appliqué non sans conviction à expliquer à l’auditoire, images à l’appui, l’évolution des avions au fil des ans. Instruments analogiques ou cathodiques ? Comparant même les appareils maison à ceux du concurrent Boeing : « nous n’avons rien inventé. L’évolution s’est faite pas à pas, précautionneuse. En aucun cas révolutionnaire… ».
Le président veut savoir si un équipage d’ancienne génération et qui passe sur un A320 de nouvelle génération pouvait perdre des repères ? Pierre Baud ne se démonte pas : « Si l’équipage a été lâché par Air-Inter sur cet avion, c’est qu’il était capable de le manœuvrer avec l’expérience et la maturité nécessaire… ».

Pierre Baud (au centre) en compagnie de maîtres Ndiaye (à gauche) et Buffat (à droite)

Confusion dans le mode de descente ? Une erreur est toujours possible assure Pierre Baud mais « je ne comprends pas qu’on ne capte pas une erreur de cet ordre durant un temps aussi long ». Et de souligner lui aussi que la détection de telles erreurs fonctionne lorsque les pilotes travaillent ensemble, se surveillent mutuellement et font les annonces. A l’appui de ses dires, il sort de son portefeuille une carte format carte de crédit qu' Airbus donne à tous les pilotes en formation et dont la règle d’or N° 5 est claire : consultation permanente de l’écran. Ce qui aurait indiqué la vitesse réelle de l’avion à l’équipage.

Hubert de Gaullier : « ce qui est en cause, c’est la philosophie du FCU concernant l’affichage du taux de l’angle ou la vitesse de descente… ».

Claude Palpacuer procureur trouve la présentation faite par Pierre Baud « très éducative » et s’interroge : « le pilote a-t-il choisi délibérément cette descente de 3.300 pieds ? ». Réponse : « On peut se poser des questions sur la non-communication entre les deux pilotes ». « Avez-vous vu un équipage faire cela (descendre à cette vitesse ndlr) ? ». « En IFR( instrument flying rules ), jamais « . Bernard Ziegler renchérit : « les deux hypothèses sont plausibles. Mais mon intime conviction, c’est la descente volontaire… ».

Cité par ECHO, Jacques Clostermann, 56 ans, commandant de bord chez Air-France, le fils de Pierre Clostermann auteur du « Grand cirque » et l’une des grandes figures de la Chasse française durant la seconde guerre mondiale est lui aussi un ancien de l’Armée de l’air avant d’être devenu pilote dans le civil. Volubile, il ne mâche pas ses mots: « l’ambiance chez Air Inter à l’époque a été à mon avis un facteur contributif grave dans la survenance de l’accident. Conflit important à cause de l’équipage à deux, condescendance d’Airbus à l’égard des pilotes « livreurs de pizzas », aucun retour d’expériences. Il y avait une minorité qui s’est opposée au pilotage à deux. Environ 100 sur 600 pilotes. Il n’y a pas eu de voix de sage pour dire stop, maintenant c’est terminé…Il y avait une ambiance pestilentielle au sein d’Air-Inter. On ne met pas un avion en ligne dans cette ambiance. L’information montait, mais n’était pas répercutée. Le retour d’expérience ? Il n’y en avait pas. On mettait une chape de plomb. On ne voulait pas que ça sorte d’Air-Inter…il fallait permettre le succès de l’avion ».

Dernier témoin cité par ECHO, Henri Marnet-Cornus, 57 ans, à la retraite, ancien commandant de bord chez Air Lib, co-auteur d’un livre récent ( Transport aérien- Le dossier noir- Editions Privé- JAC 64) Pour lui, l’accident était prévisible. Et il énumère ce qui à ses yeux y a mené. Niveau de la qualité dans l’environnement des pilotes, erreurs détectées en amont, défauts récurrents de l’appareil à l’époque, retour d’expériences pas pris en compte, laxisme de l’administration, formation mal faite, appariement de l’équipage…et de conclure en citant encore les accidents du Concorde, de Charm el-Cheikh, de Maracaibo en demandant l’excellence pour le transport aérien.

No hay comentarios: